La mise en œuvre des principes de distinction et de proportionnalité en matière d’opérations aériennes.
La mise en œuvre des principes éminents de distinction et de proportionnalité en matière d’opérations aériennes militaires appartient en France au commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA). Cette structure est dirigé par un officier général de l’armée de l’Air qui en dispose pour l’exécution des missions qui lui sont confiées par le code de la Défense. Le CDAOA assure la surveillance de l’espace aérien français vingt quatre heures sur vingt quatre et trois cent soixante cinq jours par an. Son rôle consiste en premier lieu à identifier, à classifier et à s’opposer à toute menace civile ou militaire, tout en assurant les services du sauvetage et de l’aide aux aéronefs en détresse. Jusqu’à 15.000 aéronefs utilisent quotidiennement l’espace aérien français.
Le rôle de ce commandement est aussi d’organiser et de conduire les opérations aériennes dans le cadre de conflits armés ou en dehors d’une situation de conflit. S’agissant de conflits armés, c’est le CDAOA qui a planifié et conduit les premières frappes le 19 mars 2011 sur la Libye, précédées par de nombreuses missions de reconnaissance qui ont contribué à bâtir ce qu’on appelle l’ordre de bataille des forces libyennes.
C’est parce qu’il est chargé de telles missions que le CDAOA poursuit des réflexions en droit opérationnel, assure la formation de nombreux utilisateurs de l’arme aérienne et dispose à ce titre de conseillers juridiques dédiés, en conformité avec les exigences de l’article 82 du Protocole additionnel I de 1977, et fait évoluer les méthodes et moyens de mise en œuvre des principes plus haut cités.
Cette étude a pour objectif de décrire ce que sont ces méthodes et ces moyens employés en pratique et en quoi ils satisfont les exigences du droit des conflits armés en matière de distinction et de proportionnalité.
Mais j’aimerais commencer par expliquer que la mission qui consiste à donner un avis juridique au commandeur ou aux acteurs des opérations suppose que l’on connaisse bien tout à la fois :
- le droit applicable, qui n’est pas le seul droit des conflits armés, le droit aérien principalement et le droit de l’espace comme celui des espaces communs revêtant une importance croissante,
- l’organisation des opérations, car à quoi sert-il de prodiguer du conseil trop tôt, ou trop tard ou dans un forum inadapté ?
- les systèmes d’armes mis en œuvre, car si un Legal Adviser ne sait pas par exemple que la résolution d’un capteur spécifique et la présentation de l’image dans le cockpit est insuffisante pour l’identification visuelle d’un objectif en air-sol à 20.000 pieds, il ne sera pas très crédible s’il cherche à l’imposer.
Je serai ainsi amené dans le cours de cette communication à rapidement rendre compte de la manière dont sont organisées les opérations pour vous faire apprécier comment ces principes sont mis en œuvre. Je débuterai en dépit du séquençage normal des actions de conseil avec l’exposé des méthodes utilisées pour tenter de réduire autant qu’il est possible l’étendue des dommages collatéraux consécutifs à un emploi de l’arme aérienne, et je poursuivrai par la mise en œuvre du principe de distinction avec les techniques employées et la description des réflexions actuelles que nous menons autour des questions de participation directe aux hostilités.
1. Commençons avec la summa divisio des opérations aériennes air/sol. Ces missions prennent trois formes principales.
Il y a en premier lieu des missions d’interdiction planifiées qui correspondent à un ciblage en vue de neutralisation ou de destruction d’objectifs préidentifiés. Ces missions sont inscrites dans un Air Tasking Order qui régit l’activité aérienne pour le jour considéré. Les questions de distinction et de proportionnalité ont là été prises en considération avant ou bien avant la mission, on parle dès lors de ciblage « à froid » ou « tiède », en tout cas délibéré : (Deliberate targeting).
Il y a ensuite les missions de combat air/sol dans lesquelles les chasseurs ou d’autres vecteurs aériens sont eux-mêmes chargés de reconnaître, identifier, et détruire des cibles d’opportunité, en fonction de dommages collatéraux qu’ils estiment ou participent à estimer : on parle de missions SCAR pour Strike, Coordination and Reconnaissance.
Il y a enfin les missions d’appui feu au sol (CAS ou Close Air Support) dans lesquelles une unité au sol assure le guidage terminal d’une attaque aérienne sur une cible que cette unité a désignée. Nous y reviendrons plus tard mais la doctrine française, n’admet pas, à l’inverse de la doctrine américaine que le commandeur au sol soit seul responsable de l’appréciation de distinction ou de proportionnalité.
C’est dans ce cadre opérationnel que les principes cités doivent trouver leur reconnaissance et leur pleine mise en application.
1.1 Je vous propose de commencer par le rappel succinct de quelques données juridiques et historiques s’agissant de la question de la proportionnalité.
1.1.1 Les premières mentions d’exonération de responsabilité en cas de dommages collatéraux que j’ai pu trouver résultent de la rédaction de l’article 2 de la convention de la Haye de 1907 relative au bombardement naval de zones non défendues qui porte que le bombardement de cibles militaires légitimes subsistant dans ces zones reste autorisé, les dommages involontaires causés ne pouvant être portés au compte de celui qui ordonne le bombardement, qui prendra cependant toutes les précautions nécessaires aux fins de limiter les « inconvénients » qui en résulteraient. Même si cette disposition reste probablement de droit positif, les textes actuels généralement pris immédiatement en compte sont plutôt les Protocoles additionnels, et le Protocole relatif à l’interdiction à ou la limitation de l’emploi des armes incendiaires. Les textes qui parlent de dommages graves, durables et étendus à l’environnement sont à intégrer dans ces références relatives au principe de proportionnalité dans la mesure où cette notion de dommages graves, durables et étendus se retrouve dans le statut de la Cour Pénale Internationale à l’article 8.2. iV relatif aux crimes de guerre pour ces dommages qui seraient manifestement excessifs par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire concret et direct attendu de l’attaque.
Je vous propose donc la définition suivante : est dommage collatéral tout dommage causé à la population civile ou à des objets civils ou tout dommage grave, étendu et durable à l’environnement naturel, non compris dans, et distincts, de cibles autorisées/légitimes, résultant de l’usage de la force. (civils, récoltes, bétail, infrastructures, forêts, eaux etc.).
1.1.2 Mais la question qui est posée par ces textes bien connus, c’est celle de la proportionnalité. En d’autres termes qu’est-ce qu’un dommage collatéral manifestement excessif et doit-on admettre dans certains cas pour la neutralisation d’une cible militaire légitime des dommages étendus à des objets civils ? Notre analyse de la jurisprudence actuelle nous conduit à penser qu’il n’y a pas de calcul de proportionnalité établi sur lequel les opérations militaires puissent se baser. La seule décision, avant dire droit, assez récente à laquelle on puisse se référer est celle du Procureur du TPY dans la mise en cause de la campagne aérienne du Kosovo conduite par l’OTAN qui admit implicitement que la mort accidentelle de 500 Serbes et Kosovars n’était pas manifestement excessive par rapport à l’avantage militaire direct obtenu de l’attaque conduite contre les forces et centres de commandement serbes. Il n’y a donc pas de jurisprudence internationale fixée mais il y a une doctrine et des méthodes militaires bien arrêtées.
1.1.3 En tout état de cause, on constate une réduction historique des dommages collatéraux causés par la guerre aérienne. Sous l’influence des co-facteurs que sont :
- les considérations d’opinion publique qui montre très légitimement une tolérance réduite pour les dommages collatéraux,
- des progrès techniques qui le permettent avec une précision sans cesse accrue, et
- du risque judiciaire associé à la reconnaissance éventuelle d’une attaque comme ayant produit des effets disproportionnés ou indiscriminés,
les armements air sol sont délivrés avec un rayon d’erreur probable qui s’est réduit de neuf cents à un mètre en soixante dix ans, c'est-à-dire depuis l’introduction des bombardements aériens massifs et systématiques de la deuxième guerre mondiale jusqu’à la campagne de Libye. Il faut tout de suite ajouter que les militaires ont été des acteurs convaincus de cette évolution pour des raisons d’efficacité militaire et d’économie de moyens.
1.1.2 Mise en œuvre pratique
La conduite de la campagne aérienne moderne est assurée au plan doctrinal, organisationnel, et technique pour maximiser les effets militaires de l’action aérienne et pour minimiser les effets non désirés et non contrôlés de l’arme aérienne.
1.1.3 Mise en œuvre amont
1.1.3.1 Un premier aspect à relever est celui de la complexité et du nombre des niveaux décisionnels en matière de désignation de cibles. Entre la proposition et la nomination définitive de cibles planifiées, l’aspect dommages collatéraux revêtant une importance critique, plusieurs jours peuvent s’écouler et une demi-douzaine d’instances différentes se prononcer sucessivement, ce qui constitue en soi une première garantie. En deuxième lieu, les procédures de validation de tir ont atteint un degré de complexité et de détail inédit. Selon le niveau de dommages attendus sur une frappe d’opportunité, et sans préjudice des mesures actives de réduction dont je vous parlerai plus loin, des niveaux d’autorité sont définis, c’est le concept de Target engagement authority, qui peuvent conduire à remonter la décision d’engagement du chasseur dans son cockpit jusqu’au plus haut niveau de l’Etat le cas échéant.
1.2.1.2 Au plan doctrinal, de multiples exemples de la mise en œuvre de l’impératif de réduction des dommages incidents peuvent être donnés, le dernier en date pour ce qui concerne la France résulte de la rédaction du Concept interarmées « opérations urbaines » CIA3.2.2 dans sa version du 8 mai 2012.
"Dans la sphère urbaine, les risques d’imbrication entre les forces adverses et la population ainsi que l’existence de zones ou infrastructures sanctuarisées sont des constantes rendant l’action militaire plus délicate et sensible qu’ailleurs par l’aggravation des risques de confusion et de dommages collatéraux. L’influence toujours négative que les destructions exercent sur les populations impose une approche particulière fondée sur le choix des cibles à neutraliser ou à détruire ainsi que sur la proportionnalité et la modération dans la mise en oeuvre des moyens de destruction, à tous les niveaux de commandement."
Il ne s’agit pas là uniquement d’une posture qui permette d’éviter le décrochage des opinions publiques et de réduire par exemple, la portée des critiques des opposants à l’utilisation faite d’un mandat du Conseil de Sécurité mais d’un véritable engagement dans une démarche de réduction des dommages qui offre par ailleurs d’autres avantages. Un autre effort doctrinal actuellement mené consiste à évaluer du point de vue du droit applicable aux forces françaises la conformité du logiciel de ciblage JTS, utilisé par l’OTAN et à adopter une doctrine et une méthode nationales mieux formalisées.
1.2.1.3 Le ciblage à froid consiste à créer des dossiers d’objectifs relatifs à des cibles potentielles dans le cadre de planifications d’anticipation. Ces dossiers d’objectifs conduits à partir de renseignements multisources relevés sur des périodes parfois très longues permettent de mesurer précisément la possibilité de dommages collatéraux et de décider du mode de traitement des cibles. Il s’agit là encore de travaux collégiaux menés avec le concours de conseillers juridiques opérationnels et de spécialistes des effets des armements. Ces travaux bénéficient des progrès réalisés en matière de précision, en matière de modélisation des effets des armements, et des efforts d’introduction de nouveaux armements. A ce titre, il a par exemple été récemment tenté d’introduire une munition guidée inerte dans la panoplie des armements utilisables par nos chasseurs avec pour objectif de réduire plus encore ces effets collatéraux indésirables. Les résultats ne sont pas concluants pour deux raisons. Même si l’inertie de la bombe de 250 kg est parfaitement suffisante pour neutraliser un char, faute d’explosif, et sous certains angles, un rebond avec des effets non maitrisés peut se produire et par ailleurs l’absence d’explosif peut conduire à se demander si le char est vraiment détruit et conduire à des refrappes inutiles ou dangereuses.
Enfin, les travaux de ciblage utilisent largement les ressources du renseignement spatial, de la géolocalisation avec des précisions variables et connues à l’avance, et font appel à la météorologie solaire pour mesurer le risque d’interruption ou de parasitage des communications satellitaires, tous facteurs qui peuvent avoir un impact sur la précision des frappes.
1.2.1.4 La planification conduit également à arrêter le nombre théorique de victimes civiles à partir duquel pour un engagement donné les dommages collatéraux seront pris en compte. Il convient à ce titre d’avoir à l’esprit que ce chiffre peut évoluer en fonction des difficultés de la campagne, des niveaux de priorité et d’urgence des missions, ou des pratiques de l’adversaire comme celles qui consistent à utiliser des boucliers humains, à tenter de protéger ses moyens militaires en les plaçant près d’objets protégés etc.. Pendant les opérations en Libye et compte tenu de l’acquisition de la suprématie aérienne obtenue dès le 19 mars 2011 avec les Rafale et Mirage 2000 français, la non-combatant and civilian casualty cut-off value était de zéro, ce qui signifie que des précautions spécifiques étaient prises dès que la présence d’un seul civil ou d’un objet civil était attestée dans le rayon des effets d’une bombe ou d’un missile. Il faut enfin garder à l’esprit que la théorie de l’effet cumulatif des attaques n’a pas reçu de consécration et fait d’ailleurs l’objet de réserves d’interprétation formelles de nombreux pays dont la France.
1.2.1.5 La traçabilité des décisions opérationnelles est aussi un des moyens adoptés pour mettre en évidence le respect des procédures ou mettre en jeu d’éventuelles responsabilités. Les communications sont ainsi enregistrées, et les tirs sont filmés. Ces procédures associées à des politiques de formation au droit des conflits armés pour l’ensemble des pilotes, des cibleurs et l’ensemble des officiers de renseignement comme pour tous les officiers pouvant prétendre à exercer le commandement d’opérations aériennes contribuent à la réduction en amont du risque de dommage incident.
1.2.2 Mesures de réduction active des dommages collatéraux. Il s’agit là des mesures pratiques prises peu de temps avant le déclenchement de la mission ou même en cours de mission.
1.2.2.1 Le choix de l’aéronef est central et plus généralement celui du système d’arme utilisé. La qualité variable des senseurs permet par exemple de voir plus ou moins bien en appui aérien rapproché des éléments de situation tactique qui ont pu échapper au contrôleur tactique au sol et de mesurer les effets de l’armement dont le tir est demandé. Le temps disponible sur zone est également critique dans la mesure où il autorisera dans certaines circonstances un tir à temps. C’est d’ailleurs de ce point de vue que les drones armés trouvent une grande partie de leur intérêt et que les drones de reconnaissance dotés de capacités de désignation et qui opèrent sans mettre en jeu la vie des pilotes permettent des engagements très maitrisés. Pour certaines cibles est ainsi pratiquée une surveillance longue (POL, Pattern of Life) qui permet d’engager en maximisant l’effet militaire et en minimisant les dommages incidents.
1.2.2.2 Le choix de la munition s’impose également comme majeur s’agissant de réduction des dommages avec au premier chef, la quantité d’explosif emporté, et en second lieu, étroitement associé à la munition, le retard de la fusée qui peut ou non être réglé depuis le cockpit, permettant ainsi à la bombe d’exploser à l’impact ou quelques millisecondes plus tard. Enfin le choix du type de guidage terminal de l’armement compte tenu des possibilités offertes, autorise une meilleure maitrise des effets. Ainsi le guidage laser peut conduire à des effets non souhaités en présence d’eau et le guidage GPS sur coordonnées peut souffrir des imprécisions mentionnées supra. Enfin un angle d’arrivée peut être défini pour certains armements, ce qui permet une explosion à l’intérieur de l’objectif plutôt qu’en lisière : pensez aux grottes ou aux dépôts. Le profil et l’angle d’attaque doivent impérativement être arrêtés pour d’autres tirs comme le tir canon ou de certaines bombes comme les bombes balistiques pures.
1.2.2.3 Une pratique essentielle consiste pour une situation tactique donnée à modéliser les effets de l’armement disponible avant le tir. Cette modélisation des effets est assurée par le commandement qui contrôle la mission. Il pourra simuler les effets réels létaux d’une munition spécifique à l’endroit et l’instant donné et autorisera le tir à certaines conditions. Le commandement Air concerné pourra aussi décider de faire remonter le niveau de décision s’il ne parvient pas à réduire les risques et il s’appuiera alors sur des données statistiques de densité de population par théâtre et par objet menacé pour donner à l’autorité d’engagement définie les dommages statistiquement prévisibles en cas de tir. Cette autorité ordonnera alors ou non l’engagement compte tenu de la priorité à donner à la neutralisation de la cible, en fonction de la situation tactique et d’autres considérations.
Enfin les études des effets des armements, et le cas échéant, de leurs dysfonctionnements, en exercice, en conduite ou après des conflits réels, permettent de tirer de nombreux enseignements et de modifier les procédures. On réagira par exemple en limitant ou en interdisant temporairement l’emploi de certains armements si l’on constate qu’un dysfonctionnement se reproduit avec une fréquence anormale. Ces études portent également sur les logiciels de ciblage utilisés pour les opérations en cours d’examen en France pour vérifier leur intérêt et leur adaptation à nos contraintes.
1.2.2.4 Il es également important de mettre en lumière comment des dommages collatéraux, par définition non intentionnels peuvent naître d’erreurs processuelles. Il convient en particulier d’utiliser le même système de coordonnées d’un bout à l’autre de la mission, et de s’assurer que les coordonnées extraites par un système correspondent à celles obtenues par le système utilisé pour la mission. L’oubli d’une décimale dans la désignation peut aussi avoir des conséquences sensibles. Lorsque la convention de 1907 de la Haye parle « d’inconvénients » c’est là un euphémisme majeur.
Enfin pour clore cette partie de l’exposé consacré au principe de proportionnalité et à sa mise en œuvre dans la guerre aérienne, je ne peux pas ne pas mentionner pour être complet les efforts de conseil et de formation menés en direction des équipages participant aux frappes et qui prennent la forme d’exposés sur la méthode d’estimation des dommages collatéraux par l’équipage, ou l’utilisation de logigrammes décisionnels permettant de mener des actions réflexe en fonction des situations rencontrées et des simulations de situation appelant des réponses des équipages.
La question qui reste en suspens, c’est celle de l’évaluation de l’avantage militaire obtenu d’une attaque.
Que trouve-t-on en effet de l’autre côté du bilan coût/avantages d’une attaque ? Le texte français du PA I qualifie d’ailleurs cet avantage à mettre en regard des pertes possibles de « précis » au 52.2 ou de « concret et direct » au 57.2 du PA I. La pratique militaire consiste dans le cadre des dossiers d’objectifs, donc pour les frappes planifiées à présenter à l’autorité chargée de les valider, les attendus d’une attaque, avec sa criticité et en quoi l’attaque est en cohérence avec les objectifs de campagne, à terme ou immédiats. Sans reprendre les conclusions du comité d’experts relatifs à la campagne aérienne dite du Kosovo, l’avantage précis attendu d’une attaque d’usine d’armement est cependant aussi difficilement calculable que l’avantage qui peut être attendu du ciblage létal d’un stratège propagandiste comme Goebbels. Mais cette considération nous attrait sur des questions de distinction..
En tout état de cause, il convient de rappeler que le PA I précise que cet avantage militaire attendu est circonstanciel (« en l’occurrence », « under the circumstances ruling at the time »). Ce qui est militairement avantageux à un temps et un instant donné peut ne plus l’être ou inversement peut regagner de l’intérêt parce que les circonstances tactiques ou stratégiques ont changé et le changement peut intervenir d’heure à heure.
2 Le principe de distinction, mise en œuvre et participation aux hostilités.
Imposé par de nombreux instruments internationaux, ce principe est mis en œuvre selon des modalités particulièrement précises et efficaces, en dépit de certains questionnements récents. Sa mise en œuvre est cependant tributaire de décisions et de positions doctrinales à prendre s’agissant de la question de la participation de civils aux hostilités
2.1 Le principe de distinction ou de discrimination est traduit dans de très nombreuses dispositions du droit des conflits et pour mémoire, le PA I, par exemple aux articles 48, 51, 52, et 57 fait obligation en toutes circonstances aux planificateurs et à ceux qui exécutent les missions aériennes de distinguer les objectifs militaires des civils et objets civils protégés.
Les progrès en matière de distinction ont suivi la même courbe vertueuse que celle qui concerne l’application du principe de proportionnalité. Ils sont comme elle étroitement liés aux performances toujours plus grandes des capteurs, senseurs et de leur permanence mais aussi aux procédures mises en oeuvre.
2.1.1 Il convient d’avoir à l’esprit que les questions de discrimination ne se posent pas avec la même acuité pour toutes les phases d’un conflit. Les conflits modernes commencent avant tout engagement au sol avec une phase d’acquisition de la suprématie ou au moins de la supériorité aérienne. L’acquisition de la suprématie aérienne passe en doctrine et en pratique par une phase de bombardement à distance telle que les US et la GB l’ont pratiqué dans la nuit du 19 au 20 mars en Libye, les cibles visées étant uniquement des cibles militaires par nature (radars militaires de surveillance ou de guidage de tir missile) ou par destination, (des radars civils participant à l’acquisition des vecteurs assaillants et à la défense aérienne), leur destruction apportant un avantage militaire précis consistant justement en l’acquisition de la liberté d’action dans l’espace aérien libyen. Les missions conduites sont des missions de frappes planifiées, ce qui renvoie au ciblage à froid décrit plus haut ou à un ciblage « tiède », les décisions étant prises après révision juridique des dossiers d’objectifs par le commandant stratégique des opérations selon un processus formalisé et traçable. Dans cette phase, les précautions prises en France et dans le monde otanien en matière de sélection de cibles offrent d’importantes garanties. Des listes d’objets dont le ciblage est interdit sont bâties qui comprennent les objets culturels, religieux, les hôpitaux etc.. Une liste de cibles à traiter selon des modalités restrictives est également bâtie. Elle peut mentionner des méthodes spécifiques d’attaque ou des contraintes horaires etc.. Ces cibles ne sont traitées suivant les ordres qu’après que d’autres vérifications ont pu être menées par les officiers de renseignement et, en coalition, les représentants des nations auprès du commandeur peuvent refuser le traitement de telle ou telle cible selon l’acception qu’ils se font de leur droit ou contraintes. Comme il a été dit plus haut, ces cibles sont également traitées avec la volonté de réduction des dommages collatéraux. Par ailleurs, les considérations juridiques ne sont pas les seules à être prises en compte et par exemple un radar civil ou un pont dont on sait qu’on en aura besoin dans une phase de reconstruction pourront ne pas être ciblés même si leur activité ou leur utilisation à des fins militaires présentent une menace réelle pour nos opérations.
2.1.2 Dans une phase suivante d’attrition des capacités de commandement et des capacités sol d’un adversaire, ou d’une campagne aérienne d’appui feu rapproché comme en Afghanistan, les questions se posent différemment. Ainsi, durant la campagne libyenne s’est posée la question des «centres de commandement temporaires». Confrontées à une opposition armée résolue, à des frappes répétées sur ses centres de commandement connus, les forces pro-gouvernementales qui ont par ailleurs très rapidement compris que l’OTAN appliquerait des standards élevés en matière de proportionnalité, ont eu tendance à utiliser des objets civils pour se protéger. Elles se sont sont également organisées pour diffuser les ordres par téléphone depuis des habitations privées, brouillant volontairement ainsi la distinction civil/militaire. La question qui se pose alors est celle de la qualification de cible militaire de cet objet civil « les objectifs militaires sont limités aux biens qui, par leur nature, leur emplacement, leur destination ou leur utilisation apportent une contribution effective à l'action militaire et dont la destruction totale ou partielle, la capture ou la neutralisation offre en l'occurrence un avantage militaire précis. » ce qui génère des questions plus précises :
- Le centre de commandement temporaire est-il utilisé fréquemment ou avec régularité, en d’autres termes une utilisation unique est-elle suffisante pour un ciblage létal ? Il semble bien qu’il faille définir un seuil d’utilisation et qu’une utilisation ponctuelle et non répétée ne devrait pas définitivement faire perdre sa protection à un objet par nature civil.
- Les activités conduites ont-elles un contenu militaire démontrable ? Autrement dit, le renseignement est-il fiable ? Est il corrélé par exemple par plusieurs sources ?
- Ces activités n’ont-elles pas cessé au moment où le ciblage est proposé ? Doit-on si on en a les moyens s’imposer une surveillance de la cible pour estimer la légitimité d’une frappe ?
Il n’y a pas nécessairement de réponse unique, en fonction de doctrines ou de réflexions plus ou moins formalisées et les Nations coalisées ont pu y apporter des réponses divergentes au cas par cas.
2.1.3 Une autre question (le présent exposé n’a pas vocation à couvrir l’ensemble des questions qui se posent en terme de distinction) peut concerner le traitement des réseaux publics ou privés de communication de l’adversaire quand ils sont utilisés pour la transmission d’ordres ou diffusent des appels à la commission de crimes de génocide, contre l’humanité ou de crimes de guerre, ou encore à des fins de propagande. En Afghanistan, les insurgés disposent dans le sud d’un réseau privé de communication, de nature d’ailleurs à objectiver la qualification de conflit armé non international donné à ce conflit compte tenu de la démonstration ainsi faite du contrôle qu’ils exercent sur une partie du pays. Ce réseau bien connu n’a au moins jusqu’en 2010 pas été attaqué, compte tenu des possibilités d’interception qu’il offrait. Mais il constitue sans doute une cible militaire légitime. La campagne libyenne n’a pas permis de confirmer cette opinion compte tenu des précautions prises qui allaient bien au-delà des exigences du droit des conflits armés[1]. Les installations de communication n’ont été ciblées que rarement et qu’incidemment quand elles étaient associées à un centre de commandement.
S’agissant du conflit génocidaire rwandais, l’ARRET Nahimana et consorts c. Le Procureur Affaire ICTR-novembre 2007 Arusha, Tanzanie a permis de fixer les choses en matière de qualification du crime d’incitation Combiné à l’avis d’expert auprès du procureur près le TPY[2], il est très vraisemblable qu’un media utilisé pour l’organisation ou l’incitation au génocide, dans ce dernier cas s’il est démontré qu’il y contribue substantiellement[3], peut être létalement ciblé. Le statut de la CPI avec ses articles 5 et suivants et 25 permet de réprimer l’incitation et le fait de donner des ordres, de solliciter ou d’encourager la commission de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité quand ces crimes sont commis ou qu’on tente de les commettre. Mais la question qui se pose derrière celle là est celle du ciblage létal direct des responsables de tels actes. Et de ce qu’est la participation directe aux hostilités mentionnée aux PA I 51.3 et PA II 4.1 et 13.3.
2.1.4 Avant d’en arriver là, il convient cependant évoquer la question des mesures spécifiques prises en matière de distinction appliqué aux frappes dynamiques. Les instructions données aux pilotes sont contenues dans des ordres appelées SPINS. La question de l’identification des cibles y est spécifiquement abordée, ce qui nous renvoie donc aux précautions en matière de distinction. Il y est demandé aux pilotes de combat d’identifier leurs cibles et ce qu’on attend d’eux en matière d’identification y est précisé. Le terme anglais est PID pour identification positive. Elle est assurée en SCAR par les pilotes, en CAS par les troupes au sol. La rédaction du paragraphe consacré à la PID et à la VID dans les SPINS généralement utilisées peut parfois laisser perplexe sur l'interprétation faite des précautions dans l’attaque fulminée par le PA I art 57 pour ce qui concerne la question de la PID. Ne pèserait sur les personnes ordonnant ou exécutant une attaque qu'une obligation de moyens quant au principe de discrimination et non pas une obligation de résultats. La question du doute en matière de PID n’est pas abordée. Selon cette rédaction, il ne doit pas être demandé une assurance à 100% mathématiquement parlant mais une assurance raisonnable qui s'appuie sur une étude ayant mis en œuvre tout ce qui était "pratiquement possible" PA I, art 57 §2.a)1). Cela paraît à peu près imparable. Mais peut-être convient-il de poser les choses autrement. Le PA I requiert, au 57,2 i, effectivement de faire ce qui est pratiquement faisable et il convient alors, c’est ce qu’exige la France de ses pilotes pour lui donner une traduction opérationnelle exacte, d’ajouter la VID[4], c'est-à-dire l’identification visuelle, à la PID quand cela est possible[5]. Quelles sont alors les conditions dans lesquelles un pilote doit ou peut refuser un appui feu ? Ce ne peut être qu’en se fondant sur des faits dûment constatés avec ses senseurs et certainement pas sur une intuition ou une intime conviction. Il convient de préciser aux pilotes ce qu’est le doute qui doit conduire à la suspension de l’attaque. Une rédaction possible en anglais est offerte ci après…[6]
Il ne s’agit pas là de je ne sais ce que serait un « principe général de précaution appliqué aux opérations » mais une mise en avant de l’absence de doute quant aux frappes envisagées, doutes qui seraient liés à la nature de l’objet ciblé et frappé. Il convient de récuser la référence à un pourcentage comme « 100% » car alors on entre dans un jeu parfaitement pervers. « Et si on est sûr à 95% ? » comme je l’ai entendu d’un pilote pendant une campagne aérienne. Mais il convient quand on frappe d’être certain «beyond any doubt ». En cas de doute, quel que ce soit ce doute, s’il y a doute, il convient de suspendre l’attaque. Ce doute cependant ne peut être qu’un doute basé sur des faits ou des constatations crédibles. Et si l’on a, inversement l’assurance raisonnable fondée sur ce qui est pratiquement faisable, que ce que l’on va attaquer est de nature militaire sans CD excessifs, et bien l’attaque peut avoir lieu.
2.1.5 En dernier lieu, il convient de préciser qu’en aucune manière les notions de « Kill Box » ou d’« Engagement zone » ne permettent d’appliquer un principe de présomption selon lequel tout objet à l’intérieur des coordonnées définies constituerait un objectif militaire légitime. Et toute action à l’intérieur de ces zones doit respecter l’article 48 et appliquer le doute constructif/construit mentionné plus haut.
2.2 Le principe de distinction en matière de ciblage appliqué à des cas de participation directe aux hostilités.
L’action aérienne, au même titre que les actions des forces spéciales, constitue le mode privilégié du ciblage létal de ces combattants qui en conflit armé international ou non participent aux hostilités. Il convient évidemment de définir ce qu’est cette participation directe aux hostilités (PDH). L’apport du Comité international de la Croix Rouge (CICR) et de son guide interprétatif (GI) ne peut être négligé. Mais après une phase où la cohérence d’ensemble du GI et les perspectives nouvelles ouvertes par la notion de groupe armé organisé associé à celle de fonction de combat continue ont paru apporter des solutions préférables à la pratique contestable du cas par cas employé souvent jusque là, de nombreuses difficultés sont apparues et une tentative de reformalisation est née, actuellement en discussion au ministère.
2.2.1 La position du CICR
Cf GI. Il ne saurait être question dans le cadre de cet exposé d’entrer dans le détail des positions du CICR, par ailleurs très critiqué, y compris peut-être par certains des participants au séminaire. Il est cependant loisible de les résumer par :
- Le parti pris qui consiste à entamer l’analyse par le rappel de la définition de ce qu’est un civil pour les besoins de la PDH. Les civils en conflit armé international (CAI) se distinguent des forces armées, auxquels sont associés les civils participant à une levée en masse. En conflit armé non international (CANI) conservent en tout temps leur protection les civils qui n’exercent pas de fonction de combat continue au sein d’un groupe armé organisé..
- Une définition assez tautologique de la notion d’hostilités : « Le concept d’hostilités est la somme de tous les actes hostiles commis par des personnes participant aux hostilités ».
- Une définition de la PDH comme « acte spécifique ». Le GI énonce l’équivalence des termes « attaques »[7] et « hostilités » : de ce fait, la PDH s’entend comme une participation à un acte spécifique de violence.
- Le rappel des critères communément acceptés de la PDH :
o Seuil de nuisance et donc à des dommages causés à une partie au conflit plus qu’à des personnes ou biens protégés,
o Relation de causalité (qui doit être directe : par interprétation a contrario si elle est indirecte elle doit être assimilée à «l’effort de guerre général »),
o Lien de belligérance (intention de nuire à une partie au bénéfice d’une autre partie sans prise en considération d’actes et forces extérieurs au conflit)
- En outre, le GI inclut certaines mesures préparatoires quand elles sont directement liées à un acte spécifique de PDH, et la portée temporelle de la perte de protection contre le ciblage est arrêtée en liaison avec la notion de fonction de combat continue. (FCC)
En dernier lieu le CICR rappelle opportunément le principe du doute, et de manière très critiquable souhaite que l’emploi de la force soit limité à ce qui est nécessaire pour neutraliser un civil participant directement aux hostilités, refusant ainsi une liberté essentielle à tout commandeur dans un cadre de conflit armé qui doit pouvoir choisir de tuer plutôt que de capturer.
2.2.2 Les difficultés posées par le GI sont nombreuses. Sans revenir sur les critiques[8] essuyées, il nous semble que le droit international applicable ne requiert pas de passer par la notion de groupe armé organisé (GAO) pour caractériser la PDH. Pour commencer, l’acte d’un individu isolé peut être un acte de PDH, même s’il a peu de chances d’être militairement significatif. D’autre part, la notion de GAO a été récusée avec le refus du projet d’article 25 au PA II, lui laissant pour seule fonction de permettre de distinguer certaines situations de troubles même étendus de situations où le droit des conflits devient applicable.
Et dans ce cas, alternativement, la question avant même celle de la participation directe est celle des hostilités et de leur périmètre ou contenu. Une notion souvent utilisée en droit des conflits est celle d’opérations militaires. Les opérations militaires ne sont pas limitées aux actions armées et c’est tout le spectre de ces actions qui entre selon nous dans la notion d’hostilités. Les insurgés en Afghanistan opèrent sur tout ce spectre et s’opposent à l’ISAF non seulement de manière armée mais aussi en matière d’opérations d’informations, en construisant une administration fantôme qui mime les efforts de reconstruction de l’Etat de droit auquel contribue largement la coalition, etc. Il n’est pas possible de réduire les opérations militaires aux actions armées pour la coalition et ce n’est pas non plus légitime pour les insurgés. Par exemple, une conséquence du GI est que légitimement les insurgés peuvent cibler un général qui dirige la communication de l’ISAF ou le gestionnaire des ressources financières de l’opération alors que corrélativement, il ne serait pas possible de cibler les stratèges insurgés qui mènent des campagnes dévastatrices de désinformation en direction de la population afghane ou les financiers sans lesquels les opérations ne peuvent simplement pas avoir lieu. Par ailleurs, il est surprenant de constater que le GI interdit de cibler les responsables d’actions menées au détriment des forces armées si elles ne sont pas clairement menées au bénéfice d’autres parties au conflit et de demander alors aux forces armées de s’en remettre à des forces de police pour leur protection. Ces actions, même opportunistes, ne sont pourtant presque jamais menées sans référence au contexte plus large du conflit en cours. Il est donc préférable d’offrir une définition :
« Les hostilités sont composées de toute action, armée ou non, qui a pour objet ou pour effet d’affecter négativement la capacité militaire ou les opérations militaires d’une partie à un conflit, ou alternativement de nuire aux personnes ou aux biens protégés lorsque cette action a un lien avec le conflit armé. » . Cette définition supprime la référence à un soutien à une autre partie et élargit le périmètre du lien de belligérance.
Le périmètre donné aux autres critères est un sujet d’interrogations avec un seuil de nuisance qui ne permet pas d’intégrer les cyberattaques, la propagande, les menaces au sens du PA I 51.2 ou du PA II 13.2. L’exigence difficilement compréhensible d’une étape causale unique entre l’acte spécifique et son origine laisse de côté le financement, l’entrainement, le recrutement la « recherche scientifique » (pensez aux IED sans métal).
2.2.3 Pour une position alternative
La jurisprudence internationale utilise malheureusement parfois la notion de GAO de manière opérative mais il reste envisageable de développer des positions nationales, compte tenu de la subsidiarité de sa compétence. En tout état de cause, il conviendra de choisir entre le développement d’une notion de PDH dépendante de celle de GAO (option du CICR) qui conduit à des frappes létales sur une base statutaire[9], parfois peu claire, et celui d’une notion de PDH indépendante du concept de GAO, lui même peu légitime même s’il a une utilité évidente, sociologiquement ou en matière de renseignement militaire. C’est en tout cas autour de ce point de divergence que s’organisent les discussions en cours[10] au ministère.
Que ce soit au plan doctrinal, ou au plan des méthodes et moyens employés, et que cela résulte de considérations d’ordre strictement juridique ou d’autres considérations, militaires, financières, ou liées à opinion publique, la guerre aérienne s’inscrit ainsi dans une tendance fortement vertueuse de réduction des dommages incidents et de respect du principe de distinction. Il importe que ces efforts soient consolidés et autant qu’il est possible, repris à leur compte dans d’autres dimensions de l’action militaire.
ANNEXE
Une proposition alternative à celle du GI consiste à
Q Rédefinir un seuil de nuisance associé à la notion d’hostilités qui comprenne :
• Les actes nuisibles armés.
• Les actes nuisibles non-cinétiques.
Q Préciser l’étendue du lien causal :
• Les actes hostiles, dont les actes constituant une partie intégrante de ceux-ci, font par nature partie des hostilités.
• Les mesures préparatoires aux actes hostiles équivalant aux hostilités.
Q Un lien de belligérance :
• L’acte doit être conçu pour causer ou faire causer un dommage au détriment d’une partie au conflit et dans le cadre du conflit mais pas nécessairement en soutien à une autre partie.
Ø Les criminels attaquant une partie au conflit sont réputés participer directement aux hostilités
Ø Les criminels attaquant les personnes et objets protégés ne participent pas directement aux hostilités sauf à agir pour le compte d’une partie au conflit ou à atteindre le seuil d’organisation faisant d’eux des parties au conflit.
Q Une fois la participation directe aux hostilités confirmée, la durée du ciblage doit dépendre :
Q du caractère régulier de cette participation :
• Participer directement mais une seule fois aux hostilités fait recouvrir la protection à la fin de la participation aux hostilités.
• Participer directement et plus d’une fois aux hostilités permet un ciblage permanent tant que dure l’engagement dans les hostilités.
Q du caractère volontaire ou contraint de ladite participation :
• Participer directement mais sous contrainte physique ou morale aux hostilités n’équivaut pas à une participation régulière aux hostilités et n’autorise donc pas un ciblage permanent.
Q de la nature de l’acte déterminant la participation directe aux hostilités :
• Participer directement et régulièrement aux hostilités via la commission de plus d’un acte hostile permet un ciblage permanent
• Participer directement et régulièrement aux hostilités via la commission d’une mesure préparatoire fait recouvrir la protection à la fin de la mesure préparatoire.
En outre, le recours à la force létale n’a pas à être subordonné au principe d’humanité hors les cas spécifiquement mentionnés dans le droit des conflits armés.
[1] En dépit des articles 51.2 PA I et 4.2 h), 13.2 du PA II des protocoles qui précisent que « Sont interdits les actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile. » même si les menaces ne sont pas qualifiés de crimes de guerre per se.
[2] 55 “ (..)The media as such is not a traditional target category. To the extent particular media components are part of the C3 (command, control and communications) network they are military objectives. If media components are not part of the C3 network then they may become military objectives depending upon their use. As a bottom line, civilians, civilian objects and civilian morale as such are not legitimate military objectives. The media does have an effect on civilian morale. If that effect is merely to foster support for the war effort, the media is not a legitimate military objective. If the media is used to incite crimes, as in Rwanda, it can become a legitimate military objective. If the media is the nerve system that keeps a war-monger in power and thus perpetuates the war effort, it may fall within the definition of a legitimate military objective.”
[3] « 502. La Chambre d’appel rappelle qu’il suffit que les publications de Kangura, les émissions dela RTLM et les activités de la CDR aient contribué substantiellement à la commission d’actes degénocide pour conclure que ces publications, émissions et activités ont incité à la commission de tels actes ; il n’est pas requis que celles-ci en aient constitué une condition nécessaire. »
[4] La VID selon les exigences du droit applicable aux moyens français ne peut pas être seulement la corroboration des coordonnées de la PID par vérification de la position géographique d’un objet. D’ailleurs on parle à juste titre de VID s’agissant de la reconnaissance à vue d’un aéronef en mouvement. La VID est bel et bien une mesure de dernière instance pour s’assurer de la nature d’un objet et de la légalité de sa prise à partie, l’ensemble de la chaine d’exécution (KILLCHAIN) des opérations étant coresponsable de son exécution selon les standards applicables (légalité, absence de disproportion, etc..).
[5] Et uniquement quand cela est possible. Ainsi s’il on a une PID sur un cible militaire, rien n’interdit d’utiliser une arme avec une distance de sécurité et donc de tirer sans VID si elle est techniquement irréalisable (météo, cause technique, etc..) ou trop dangereuse.
[6] POSITIVE IDENTIFICATION (PID). Positive identification (PID) of targets is required prior to engagement. PID means that the object designated for attack has prior to the attack been identified beyond doubt as a confirmed, legitimate target under the LOAC. ”beyond doubt” means there is no ground to believe otherwise. documented/factual grounds for doubt must lead to suspend or cancel the attack. The commander nominating the target for attack must positively assess that the force, structure, generally the object of the attack is a declared hostile force, has committed a hostile act, is demonstrating hostile intent, or is otherwise a valid military objective.
VISUAL IDENTIFICATION (VID) VID (visual identification) consists in the identification by visual means (type or position or vector) of an object. That object may be in motion (eg as in the case of an airplane) or not. This object may or may not be a legitimate target. If VID is demanded above and beyond PID it must be understood not only as the correlation of the geographic position, vector or type of an object but as an additional requirement with a view to confirming the legality of the attack and eg the nature of the object or lack of disproportion in collateral damage.
[7] « L’expression "attaques" s’entend des actes de violence contre l’adversaire, que ces actes soient offensifs ou défensifs » Art. 49 PAI 1977
[8] W. Hays Parks, Part IX of the ICRC “Direct Participation in Hostilities” Study: No Mandate, No Expertise, and Legally Incorrect, 42 N.Y.U. J. INT’L L. & POL. 769 (2010).
Kenneth Watkin, Opportunity Lost: Organized Armed Groups and the ICRC “Direct Participation in the Hostilities” Interpretive Guidance, 42 N.Y.U. J. INT’L L. & POL. 641 (2010).
Michael N. Schmitt, The Interpretive Guidance on the Notion of Direct Participation in Hostilities: A Critical Analysis, Harvard National Security Journal (2010).
Michael N. Schmitt, Deconstructing Direct Participation in Hostilities: The Constitutive Elements, 42 N.Y.U. J. INT’L L. & POL. 697 (2010).
Bill Boothby, “And for such time as”: The Time Dimension to Direct Participation in Hostilities, 42 N.Y.U. J. INT’L L. & POL. 741 (2010).
[9] Par ailleurs le ciblage sur une telle base « statutaire » est généralement condamné par les organisations humanitaires.
[10] Pour plus de développements, http\\: www.legaladvisersinarmedconflicts.com
La mise en œuvre des principes éminents de distinction et de proportionnalité en matière d’opérations aériennes militaires appartient en France au commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA). Cette structure est dirigé par un officier général de l’armée de l’Air qui en dispose pour l’exécution des missions qui lui sont confiées par le code de la Défense. Le CDAOA assure la surveillance de l’espace aérien français vingt quatre heures sur vingt quatre et trois cent soixante cinq jours par an. Son rôle consiste en premier lieu à identifier, à classifier et à s’opposer à toute menace civile ou militaire, tout en assurant les services du sauvetage et de l’aide aux aéronefs en détresse. Jusqu’à 15.000 aéronefs utilisent quotidiennement l’espace aérien français.
Le rôle de ce commandement est aussi d’organiser et de conduire les opérations aériennes dans le cadre de conflits armés ou en dehors d’une situation de conflit. S’agissant de conflits armés, c’est le CDAOA qui a planifié et conduit les premières frappes le 19 mars 2011 sur la Libye, précédées par de nombreuses missions de reconnaissance qui ont contribué à bâtir ce qu’on appelle l’ordre de bataille des forces libyennes.
C’est parce qu’il est chargé de telles missions que le CDAOA poursuit des réflexions en droit opérationnel, assure la formation de nombreux utilisateurs de l’arme aérienne et dispose à ce titre de conseillers juridiques dédiés, en conformité avec les exigences de l’article 82 du Protocole additionnel I de 1977, et fait évoluer les méthodes et moyens de mise en œuvre des principes plus haut cités.
Cette étude a pour objectif de décrire ce que sont ces méthodes et ces moyens employés en pratique et en quoi ils satisfont les exigences du droit des conflits armés en matière de distinction et de proportionnalité.
Mais j’aimerais commencer par expliquer que la mission qui consiste à donner un avis juridique au commandeur ou aux acteurs des opérations suppose que l’on connaisse bien tout à la fois :
- le droit applicable, qui n’est pas le seul droit des conflits armés, le droit aérien principalement et le droit de l’espace comme celui des espaces communs revêtant une importance croissante,
- l’organisation des opérations, car à quoi sert-il de prodiguer du conseil trop tôt, ou trop tard ou dans un forum inadapté ?
- les systèmes d’armes mis en œuvre, car si un Legal Adviser ne sait pas par exemple que la résolution d’un capteur spécifique et la présentation de l’image dans le cockpit est insuffisante pour l’identification visuelle d’un objectif en air-sol à 20.000 pieds, il ne sera pas très crédible s’il cherche à l’imposer.
Je serai ainsi amené dans le cours de cette communication à rapidement rendre compte de la manière dont sont organisées les opérations pour vous faire apprécier comment ces principes sont mis en œuvre. Je débuterai en dépit du séquençage normal des actions de conseil avec l’exposé des méthodes utilisées pour tenter de réduire autant qu’il est possible l’étendue des dommages collatéraux consécutifs à un emploi de l’arme aérienne, et je poursuivrai par la mise en œuvre du principe de distinction avec les techniques employées et la description des réflexions actuelles que nous menons autour des questions de participation directe aux hostilités.
1. Commençons avec la summa divisio des opérations aériennes air/sol. Ces missions prennent trois formes principales.
Il y a en premier lieu des missions d’interdiction planifiées qui correspondent à un ciblage en vue de neutralisation ou de destruction d’objectifs préidentifiés. Ces missions sont inscrites dans un Air Tasking Order qui régit l’activité aérienne pour le jour considéré. Les questions de distinction et de proportionnalité ont là été prises en considération avant ou bien avant la mission, on parle dès lors de ciblage « à froid » ou « tiède », en tout cas délibéré : (Deliberate targeting).
Il y a ensuite les missions de combat air/sol dans lesquelles les chasseurs ou d’autres vecteurs aériens sont eux-mêmes chargés de reconnaître, identifier, et détruire des cibles d’opportunité, en fonction de dommages collatéraux qu’ils estiment ou participent à estimer : on parle de missions SCAR pour Strike, Coordination and Reconnaissance.
Il y a enfin les missions d’appui feu au sol (CAS ou Close Air Support) dans lesquelles une unité au sol assure le guidage terminal d’une attaque aérienne sur une cible que cette unité a désignée. Nous y reviendrons plus tard mais la doctrine française, n’admet pas, à l’inverse de la doctrine américaine que le commandeur au sol soit seul responsable de l’appréciation de distinction ou de proportionnalité.
C’est dans ce cadre opérationnel que les principes cités doivent trouver leur reconnaissance et leur pleine mise en application.
1.1 Je vous propose de commencer par le rappel succinct de quelques données juridiques et historiques s’agissant de la question de la proportionnalité.
1.1.1 Les premières mentions d’exonération de responsabilité en cas de dommages collatéraux que j’ai pu trouver résultent de la rédaction de l’article 2 de la convention de la Haye de 1907 relative au bombardement naval de zones non défendues qui porte que le bombardement de cibles militaires légitimes subsistant dans ces zones reste autorisé, les dommages involontaires causés ne pouvant être portés au compte de celui qui ordonne le bombardement, qui prendra cependant toutes les précautions nécessaires aux fins de limiter les « inconvénients » qui en résulteraient. Même si cette disposition reste probablement de droit positif, les textes actuels généralement pris immédiatement en compte sont plutôt les Protocoles additionnels, et le Protocole relatif à l’interdiction à ou la limitation de l’emploi des armes incendiaires. Les textes qui parlent de dommages graves, durables et étendus à l’environnement sont à intégrer dans ces références relatives au principe de proportionnalité dans la mesure où cette notion de dommages graves, durables et étendus se retrouve dans le statut de la Cour Pénale Internationale à l’article 8.2. iV relatif aux crimes de guerre pour ces dommages qui seraient manifestement excessifs par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire concret et direct attendu de l’attaque.
Je vous propose donc la définition suivante : est dommage collatéral tout dommage causé à la population civile ou à des objets civils ou tout dommage grave, étendu et durable à l’environnement naturel, non compris dans, et distincts, de cibles autorisées/légitimes, résultant de l’usage de la force. (civils, récoltes, bétail, infrastructures, forêts, eaux etc.).
1.1.2 Mais la question qui est posée par ces textes bien connus, c’est celle de la proportionnalité. En d’autres termes qu’est-ce qu’un dommage collatéral manifestement excessif et doit-on admettre dans certains cas pour la neutralisation d’une cible militaire légitime des dommages étendus à des objets civils ? Notre analyse de la jurisprudence actuelle nous conduit à penser qu’il n’y a pas de calcul de proportionnalité établi sur lequel les opérations militaires puissent se baser. La seule décision, avant dire droit, assez récente à laquelle on puisse se référer est celle du Procureur du TPY dans la mise en cause de la campagne aérienne du Kosovo conduite par l’OTAN qui admit implicitement que la mort accidentelle de 500 Serbes et Kosovars n’était pas manifestement excessive par rapport à l’avantage militaire direct obtenu de l’attaque conduite contre les forces et centres de commandement serbes. Il n’y a donc pas de jurisprudence internationale fixée mais il y a une doctrine et des méthodes militaires bien arrêtées.
1.1.3 En tout état de cause, on constate une réduction historique des dommages collatéraux causés par la guerre aérienne. Sous l’influence des co-facteurs que sont :
- les considérations d’opinion publique qui montre très légitimement une tolérance réduite pour les dommages collatéraux,
- des progrès techniques qui le permettent avec une précision sans cesse accrue, et
- du risque judiciaire associé à la reconnaissance éventuelle d’une attaque comme ayant produit des effets disproportionnés ou indiscriminés,
les armements air sol sont délivrés avec un rayon d’erreur probable qui s’est réduit de neuf cents à un mètre en soixante dix ans, c'est-à-dire depuis l’introduction des bombardements aériens massifs et systématiques de la deuxième guerre mondiale jusqu’à la campagne de Libye. Il faut tout de suite ajouter que les militaires ont été des acteurs convaincus de cette évolution pour des raisons d’efficacité militaire et d’économie de moyens.
1.1.2 Mise en œuvre pratique
La conduite de la campagne aérienne moderne est assurée au plan doctrinal, organisationnel, et technique pour maximiser les effets militaires de l’action aérienne et pour minimiser les effets non désirés et non contrôlés de l’arme aérienne.
1.1.3 Mise en œuvre amont
1.1.3.1 Un premier aspect à relever est celui de la complexité et du nombre des niveaux décisionnels en matière de désignation de cibles. Entre la proposition et la nomination définitive de cibles planifiées, l’aspect dommages collatéraux revêtant une importance critique, plusieurs jours peuvent s’écouler et une demi-douzaine d’instances différentes se prononcer sucessivement, ce qui constitue en soi une première garantie. En deuxième lieu, les procédures de validation de tir ont atteint un degré de complexité et de détail inédit. Selon le niveau de dommages attendus sur une frappe d’opportunité, et sans préjudice des mesures actives de réduction dont je vous parlerai plus loin, des niveaux d’autorité sont définis, c’est le concept de Target engagement authority, qui peuvent conduire à remonter la décision d’engagement du chasseur dans son cockpit jusqu’au plus haut niveau de l’Etat le cas échéant.
1.2.1.2 Au plan doctrinal, de multiples exemples de la mise en œuvre de l’impératif de réduction des dommages incidents peuvent être donnés, le dernier en date pour ce qui concerne la France résulte de la rédaction du Concept interarmées « opérations urbaines » CIA3.2.2 dans sa version du 8 mai 2012.
"Dans la sphère urbaine, les risques d’imbrication entre les forces adverses et la population ainsi que l’existence de zones ou infrastructures sanctuarisées sont des constantes rendant l’action militaire plus délicate et sensible qu’ailleurs par l’aggravation des risques de confusion et de dommages collatéraux. L’influence toujours négative que les destructions exercent sur les populations impose une approche particulière fondée sur le choix des cibles à neutraliser ou à détruire ainsi que sur la proportionnalité et la modération dans la mise en oeuvre des moyens de destruction, à tous les niveaux de commandement."
Il ne s’agit pas là uniquement d’une posture qui permette d’éviter le décrochage des opinions publiques et de réduire par exemple, la portée des critiques des opposants à l’utilisation faite d’un mandat du Conseil de Sécurité mais d’un véritable engagement dans une démarche de réduction des dommages qui offre par ailleurs d’autres avantages. Un autre effort doctrinal actuellement mené consiste à évaluer du point de vue du droit applicable aux forces françaises la conformité du logiciel de ciblage JTS, utilisé par l’OTAN et à adopter une doctrine et une méthode nationales mieux formalisées.
1.2.1.3 Le ciblage à froid consiste à créer des dossiers d’objectifs relatifs à des cibles potentielles dans le cadre de planifications d’anticipation. Ces dossiers d’objectifs conduits à partir de renseignements multisources relevés sur des périodes parfois très longues permettent de mesurer précisément la possibilité de dommages collatéraux et de décider du mode de traitement des cibles. Il s’agit là encore de travaux collégiaux menés avec le concours de conseillers juridiques opérationnels et de spécialistes des effets des armements. Ces travaux bénéficient des progrès réalisés en matière de précision, en matière de modélisation des effets des armements, et des efforts d’introduction de nouveaux armements. A ce titre, il a par exemple été récemment tenté d’introduire une munition guidée inerte dans la panoplie des armements utilisables par nos chasseurs avec pour objectif de réduire plus encore ces effets collatéraux indésirables. Les résultats ne sont pas concluants pour deux raisons. Même si l’inertie de la bombe de 250 kg est parfaitement suffisante pour neutraliser un char, faute d’explosif, et sous certains angles, un rebond avec des effets non maitrisés peut se produire et par ailleurs l’absence d’explosif peut conduire à se demander si le char est vraiment détruit et conduire à des refrappes inutiles ou dangereuses.
Enfin, les travaux de ciblage utilisent largement les ressources du renseignement spatial, de la géolocalisation avec des précisions variables et connues à l’avance, et font appel à la météorologie solaire pour mesurer le risque d’interruption ou de parasitage des communications satellitaires, tous facteurs qui peuvent avoir un impact sur la précision des frappes.
1.2.1.4 La planification conduit également à arrêter le nombre théorique de victimes civiles à partir duquel pour un engagement donné les dommages collatéraux seront pris en compte. Il convient à ce titre d’avoir à l’esprit que ce chiffre peut évoluer en fonction des difficultés de la campagne, des niveaux de priorité et d’urgence des missions, ou des pratiques de l’adversaire comme celles qui consistent à utiliser des boucliers humains, à tenter de protéger ses moyens militaires en les plaçant près d’objets protégés etc.. Pendant les opérations en Libye et compte tenu de l’acquisition de la suprématie aérienne obtenue dès le 19 mars 2011 avec les Rafale et Mirage 2000 français, la non-combatant and civilian casualty cut-off value était de zéro, ce qui signifie que des précautions spécifiques étaient prises dès que la présence d’un seul civil ou d’un objet civil était attestée dans le rayon des effets d’une bombe ou d’un missile. Il faut enfin garder à l’esprit que la théorie de l’effet cumulatif des attaques n’a pas reçu de consécration et fait d’ailleurs l’objet de réserves d’interprétation formelles de nombreux pays dont la France.
1.2.1.5 La traçabilité des décisions opérationnelles est aussi un des moyens adoptés pour mettre en évidence le respect des procédures ou mettre en jeu d’éventuelles responsabilités. Les communications sont ainsi enregistrées, et les tirs sont filmés. Ces procédures associées à des politiques de formation au droit des conflits armés pour l’ensemble des pilotes, des cibleurs et l’ensemble des officiers de renseignement comme pour tous les officiers pouvant prétendre à exercer le commandement d’opérations aériennes contribuent à la réduction en amont du risque de dommage incident.
1.2.2 Mesures de réduction active des dommages collatéraux. Il s’agit là des mesures pratiques prises peu de temps avant le déclenchement de la mission ou même en cours de mission.
1.2.2.1 Le choix de l’aéronef est central et plus généralement celui du système d’arme utilisé. La qualité variable des senseurs permet par exemple de voir plus ou moins bien en appui aérien rapproché des éléments de situation tactique qui ont pu échapper au contrôleur tactique au sol et de mesurer les effets de l’armement dont le tir est demandé. Le temps disponible sur zone est également critique dans la mesure où il autorisera dans certaines circonstances un tir à temps. C’est d’ailleurs de ce point de vue que les drones armés trouvent une grande partie de leur intérêt et que les drones de reconnaissance dotés de capacités de désignation et qui opèrent sans mettre en jeu la vie des pilotes permettent des engagements très maitrisés. Pour certaines cibles est ainsi pratiquée une surveillance longue (POL, Pattern of Life) qui permet d’engager en maximisant l’effet militaire et en minimisant les dommages incidents.
1.2.2.2 Le choix de la munition s’impose également comme majeur s’agissant de réduction des dommages avec au premier chef, la quantité d’explosif emporté, et en second lieu, étroitement associé à la munition, le retard de la fusée qui peut ou non être réglé depuis le cockpit, permettant ainsi à la bombe d’exploser à l’impact ou quelques millisecondes plus tard. Enfin le choix du type de guidage terminal de l’armement compte tenu des possibilités offertes, autorise une meilleure maitrise des effets. Ainsi le guidage laser peut conduire à des effets non souhaités en présence d’eau et le guidage GPS sur coordonnées peut souffrir des imprécisions mentionnées supra. Enfin un angle d’arrivée peut être défini pour certains armements, ce qui permet une explosion à l’intérieur de l’objectif plutôt qu’en lisière : pensez aux grottes ou aux dépôts. Le profil et l’angle d’attaque doivent impérativement être arrêtés pour d’autres tirs comme le tir canon ou de certaines bombes comme les bombes balistiques pures.
1.2.2.3 Une pratique essentielle consiste pour une situation tactique donnée à modéliser les effets de l’armement disponible avant le tir. Cette modélisation des effets est assurée par le commandement qui contrôle la mission. Il pourra simuler les effets réels létaux d’une munition spécifique à l’endroit et l’instant donné et autorisera le tir à certaines conditions. Le commandement Air concerné pourra aussi décider de faire remonter le niveau de décision s’il ne parvient pas à réduire les risques et il s’appuiera alors sur des données statistiques de densité de population par théâtre et par objet menacé pour donner à l’autorité d’engagement définie les dommages statistiquement prévisibles en cas de tir. Cette autorité ordonnera alors ou non l’engagement compte tenu de la priorité à donner à la neutralisation de la cible, en fonction de la situation tactique et d’autres considérations.
Enfin les études des effets des armements, et le cas échéant, de leurs dysfonctionnements, en exercice, en conduite ou après des conflits réels, permettent de tirer de nombreux enseignements et de modifier les procédures. On réagira par exemple en limitant ou en interdisant temporairement l’emploi de certains armements si l’on constate qu’un dysfonctionnement se reproduit avec une fréquence anormale. Ces études portent également sur les logiciels de ciblage utilisés pour les opérations en cours d’examen en France pour vérifier leur intérêt et leur adaptation à nos contraintes.
1.2.2.4 Il es également important de mettre en lumière comment des dommages collatéraux, par définition non intentionnels peuvent naître d’erreurs processuelles. Il convient en particulier d’utiliser le même système de coordonnées d’un bout à l’autre de la mission, et de s’assurer que les coordonnées extraites par un système correspondent à celles obtenues par le système utilisé pour la mission. L’oubli d’une décimale dans la désignation peut aussi avoir des conséquences sensibles. Lorsque la convention de 1907 de la Haye parle « d’inconvénients » c’est là un euphémisme majeur.
Enfin pour clore cette partie de l’exposé consacré au principe de proportionnalité et à sa mise en œuvre dans la guerre aérienne, je ne peux pas ne pas mentionner pour être complet les efforts de conseil et de formation menés en direction des équipages participant aux frappes et qui prennent la forme d’exposés sur la méthode d’estimation des dommages collatéraux par l’équipage, ou l’utilisation de logigrammes décisionnels permettant de mener des actions réflexe en fonction des situations rencontrées et des simulations de situation appelant des réponses des équipages.
La question qui reste en suspens, c’est celle de l’évaluation de l’avantage militaire obtenu d’une attaque.
Que trouve-t-on en effet de l’autre côté du bilan coût/avantages d’une attaque ? Le texte français du PA I qualifie d’ailleurs cet avantage à mettre en regard des pertes possibles de « précis » au 52.2 ou de « concret et direct » au 57.2 du PA I. La pratique militaire consiste dans le cadre des dossiers d’objectifs, donc pour les frappes planifiées à présenter à l’autorité chargée de les valider, les attendus d’une attaque, avec sa criticité et en quoi l’attaque est en cohérence avec les objectifs de campagne, à terme ou immédiats. Sans reprendre les conclusions du comité d’experts relatifs à la campagne aérienne dite du Kosovo, l’avantage précis attendu d’une attaque d’usine d’armement est cependant aussi difficilement calculable que l’avantage qui peut être attendu du ciblage létal d’un stratège propagandiste comme Goebbels. Mais cette considération nous attrait sur des questions de distinction..
En tout état de cause, il convient de rappeler que le PA I précise que cet avantage militaire attendu est circonstanciel (« en l’occurrence », « under the circumstances ruling at the time »). Ce qui est militairement avantageux à un temps et un instant donné peut ne plus l’être ou inversement peut regagner de l’intérêt parce que les circonstances tactiques ou stratégiques ont changé et le changement peut intervenir d’heure à heure.
2 Le principe de distinction, mise en œuvre et participation aux hostilités.
Imposé par de nombreux instruments internationaux, ce principe est mis en œuvre selon des modalités particulièrement précises et efficaces, en dépit de certains questionnements récents. Sa mise en œuvre est cependant tributaire de décisions et de positions doctrinales à prendre s’agissant de la question de la participation de civils aux hostilités
2.1 Le principe de distinction ou de discrimination est traduit dans de très nombreuses dispositions du droit des conflits et pour mémoire, le PA I, par exemple aux articles 48, 51, 52, et 57 fait obligation en toutes circonstances aux planificateurs et à ceux qui exécutent les missions aériennes de distinguer les objectifs militaires des civils et objets civils protégés.
Les progrès en matière de distinction ont suivi la même courbe vertueuse que celle qui concerne l’application du principe de proportionnalité. Ils sont comme elle étroitement liés aux performances toujours plus grandes des capteurs, senseurs et de leur permanence mais aussi aux procédures mises en oeuvre.
2.1.1 Il convient d’avoir à l’esprit que les questions de discrimination ne se posent pas avec la même acuité pour toutes les phases d’un conflit. Les conflits modernes commencent avant tout engagement au sol avec une phase d’acquisition de la suprématie ou au moins de la supériorité aérienne. L’acquisition de la suprématie aérienne passe en doctrine et en pratique par une phase de bombardement à distance telle que les US et la GB l’ont pratiqué dans la nuit du 19 au 20 mars en Libye, les cibles visées étant uniquement des cibles militaires par nature (radars militaires de surveillance ou de guidage de tir missile) ou par destination, (des radars civils participant à l’acquisition des vecteurs assaillants et à la défense aérienne), leur destruction apportant un avantage militaire précis consistant justement en l’acquisition de la liberté d’action dans l’espace aérien libyen. Les missions conduites sont des missions de frappes planifiées, ce qui renvoie au ciblage à froid décrit plus haut ou à un ciblage « tiède », les décisions étant prises après révision juridique des dossiers d’objectifs par le commandant stratégique des opérations selon un processus formalisé et traçable. Dans cette phase, les précautions prises en France et dans le monde otanien en matière de sélection de cibles offrent d’importantes garanties. Des listes d’objets dont le ciblage est interdit sont bâties qui comprennent les objets culturels, religieux, les hôpitaux etc.. Une liste de cibles à traiter selon des modalités restrictives est également bâtie. Elle peut mentionner des méthodes spécifiques d’attaque ou des contraintes horaires etc.. Ces cibles ne sont traitées suivant les ordres qu’après que d’autres vérifications ont pu être menées par les officiers de renseignement et, en coalition, les représentants des nations auprès du commandeur peuvent refuser le traitement de telle ou telle cible selon l’acception qu’ils se font de leur droit ou contraintes. Comme il a été dit plus haut, ces cibles sont également traitées avec la volonté de réduction des dommages collatéraux. Par ailleurs, les considérations juridiques ne sont pas les seules à être prises en compte et par exemple un radar civil ou un pont dont on sait qu’on en aura besoin dans une phase de reconstruction pourront ne pas être ciblés même si leur activité ou leur utilisation à des fins militaires présentent une menace réelle pour nos opérations.
2.1.2 Dans une phase suivante d’attrition des capacités de commandement et des capacités sol d’un adversaire, ou d’une campagne aérienne d’appui feu rapproché comme en Afghanistan, les questions se posent différemment. Ainsi, durant la campagne libyenne s’est posée la question des «centres de commandement temporaires». Confrontées à une opposition armée résolue, à des frappes répétées sur ses centres de commandement connus, les forces pro-gouvernementales qui ont par ailleurs très rapidement compris que l’OTAN appliquerait des standards élevés en matière de proportionnalité, ont eu tendance à utiliser des objets civils pour se protéger. Elles se sont sont également organisées pour diffuser les ordres par téléphone depuis des habitations privées, brouillant volontairement ainsi la distinction civil/militaire. La question qui se pose alors est celle de la qualification de cible militaire de cet objet civil « les objectifs militaires sont limités aux biens qui, par leur nature, leur emplacement, leur destination ou leur utilisation apportent une contribution effective à l'action militaire et dont la destruction totale ou partielle, la capture ou la neutralisation offre en l'occurrence un avantage militaire précis. » ce qui génère des questions plus précises :
- Le centre de commandement temporaire est-il utilisé fréquemment ou avec régularité, en d’autres termes une utilisation unique est-elle suffisante pour un ciblage létal ? Il semble bien qu’il faille définir un seuil d’utilisation et qu’une utilisation ponctuelle et non répétée ne devrait pas définitivement faire perdre sa protection à un objet par nature civil.
- Les activités conduites ont-elles un contenu militaire démontrable ? Autrement dit, le renseignement est-il fiable ? Est il corrélé par exemple par plusieurs sources ?
- Ces activités n’ont-elles pas cessé au moment où le ciblage est proposé ? Doit-on si on en a les moyens s’imposer une surveillance de la cible pour estimer la légitimité d’une frappe ?
Il n’y a pas nécessairement de réponse unique, en fonction de doctrines ou de réflexions plus ou moins formalisées et les Nations coalisées ont pu y apporter des réponses divergentes au cas par cas.
2.1.3 Une autre question (le présent exposé n’a pas vocation à couvrir l’ensemble des questions qui se posent en terme de distinction) peut concerner le traitement des réseaux publics ou privés de communication de l’adversaire quand ils sont utilisés pour la transmission d’ordres ou diffusent des appels à la commission de crimes de génocide, contre l’humanité ou de crimes de guerre, ou encore à des fins de propagande. En Afghanistan, les insurgés disposent dans le sud d’un réseau privé de communication, de nature d’ailleurs à objectiver la qualification de conflit armé non international donné à ce conflit compte tenu de la démonstration ainsi faite du contrôle qu’ils exercent sur une partie du pays. Ce réseau bien connu n’a au moins jusqu’en 2010 pas été attaqué, compte tenu des possibilités d’interception qu’il offrait. Mais il constitue sans doute une cible militaire légitime. La campagne libyenne n’a pas permis de confirmer cette opinion compte tenu des précautions prises qui allaient bien au-delà des exigences du droit des conflits armés[1]. Les installations de communication n’ont été ciblées que rarement et qu’incidemment quand elles étaient associées à un centre de commandement.
S’agissant du conflit génocidaire rwandais, l’ARRET Nahimana et consorts c. Le Procureur Affaire ICTR-novembre 2007 Arusha, Tanzanie a permis de fixer les choses en matière de qualification du crime d’incitation Combiné à l’avis d’expert auprès du procureur près le TPY[2], il est très vraisemblable qu’un media utilisé pour l’organisation ou l’incitation au génocide, dans ce dernier cas s’il est démontré qu’il y contribue substantiellement[3], peut être létalement ciblé. Le statut de la CPI avec ses articles 5 et suivants et 25 permet de réprimer l’incitation et le fait de donner des ordres, de solliciter ou d’encourager la commission de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité quand ces crimes sont commis ou qu’on tente de les commettre. Mais la question qui se pose derrière celle là est celle du ciblage létal direct des responsables de tels actes. Et de ce qu’est la participation directe aux hostilités mentionnée aux PA I 51.3 et PA II 4.1 et 13.3.
2.1.4 Avant d’en arriver là, il convient cependant évoquer la question des mesures spécifiques prises en matière de distinction appliqué aux frappes dynamiques. Les instructions données aux pilotes sont contenues dans des ordres appelées SPINS. La question de l’identification des cibles y est spécifiquement abordée, ce qui nous renvoie donc aux précautions en matière de distinction. Il y est demandé aux pilotes de combat d’identifier leurs cibles et ce qu’on attend d’eux en matière d’identification y est précisé. Le terme anglais est PID pour identification positive. Elle est assurée en SCAR par les pilotes, en CAS par les troupes au sol. La rédaction du paragraphe consacré à la PID et à la VID dans les SPINS généralement utilisées peut parfois laisser perplexe sur l'interprétation faite des précautions dans l’attaque fulminée par le PA I art 57 pour ce qui concerne la question de la PID. Ne pèserait sur les personnes ordonnant ou exécutant une attaque qu'une obligation de moyens quant au principe de discrimination et non pas une obligation de résultats. La question du doute en matière de PID n’est pas abordée. Selon cette rédaction, il ne doit pas être demandé une assurance à 100% mathématiquement parlant mais une assurance raisonnable qui s'appuie sur une étude ayant mis en œuvre tout ce qui était "pratiquement possible" PA I, art 57 §2.a)1). Cela paraît à peu près imparable. Mais peut-être convient-il de poser les choses autrement. Le PA I requiert, au 57,2 i, effectivement de faire ce qui est pratiquement faisable et il convient alors, c’est ce qu’exige la France de ses pilotes pour lui donner une traduction opérationnelle exacte, d’ajouter la VID[4], c'est-à-dire l’identification visuelle, à la PID quand cela est possible[5]. Quelles sont alors les conditions dans lesquelles un pilote doit ou peut refuser un appui feu ? Ce ne peut être qu’en se fondant sur des faits dûment constatés avec ses senseurs et certainement pas sur une intuition ou une intime conviction. Il convient de préciser aux pilotes ce qu’est le doute qui doit conduire à la suspension de l’attaque. Une rédaction possible en anglais est offerte ci après…[6]
Il ne s’agit pas là de je ne sais ce que serait un « principe général de précaution appliqué aux opérations » mais une mise en avant de l’absence de doute quant aux frappes envisagées, doutes qui seraient liés à la nature de l’objet ciblé et frappé. Il convient de récuser la référence à un pourcentage comme « 100% » car alors on entre dans un jeu parfaitement pervers. « Et si on est sûr à 95% ? » comme je l’ai entendu d’un pilote pendant une campagne aérienne. Mais il convient quand on frappe d’être certain «beyond any doubt ». En cas de doute, quel que ce soit ce doute, s’il y a doute, il convient de suspendre l’attaque. Ce doute cependant ne peut être qu’un doute basé sur des faits ou des constatations crédibles. Et si l’on a, inversement l’assurance raisonnable fondée sur ce qui est pratiquement faisable, que ce que l’on va attaquer est de nature militaire sans CD excessifs, et bien l’attaque peut avoir lieu.
2.1.5 En dernier lieu, il convient de préciser qu’en aucune manière les notions de « Kill Box » ou d’« Engagement zone » ne permettent d’appliquer un principe de présomption selon lequel tout objet à l’intérieur des coordonnées définies constituerait un objectif militaire légitime. Et toute action à l’intérieur de ces zones doit respecter l’article 48 et appliquer le doute constructif/construit mentionné plus haut.
2.2 Le principe de distinction en matière de ciblage appliqué à des cas de participation directe aux hostilités.
L’action aérienne, au même titre que les actions des forces spéciales, constitue le mode privilégié du ciblage létal de ces combattants qui en conflit armé international ou non participent aux hostilités. Il convient évidemment de définir ce qu’est cette participation directe aux hostilités (PDH). L’apport du Comité international de la Croix Rouge (CICR) et de son guide interprétatif (GI) ne peut être négligé. Mais après une phase où la cohérence d’ensemble du GI et les perspectives nouvelles ouvertes par la notion de groupe armé organisé associé à celle de fonction de combat continue ont paru apporter des solutions préférables à la pratique contestable du cas par cas employé souvent jusque là, de nombreuses difficultés sont apparues et une tentative de reformalisation est née, actuellement en discussion au ministère.
2.2.1 La position du CICR
Cf GI. Il ne saurait être question dans le cadre de cet exposé d’entrer dans le détail des positions du CICR, par ailleurs très critiqué, y compris peut-être par certains des participants au séminaire. Il est cependant loisible de les résumer par :
- Le parti pris qui consiste à entamer l’analyse par le rappel de la définition de ce qu’est un civil pour les besoins de la PDH. Les civils en conflit armé international (CAI) se distinguent des forces armées, auxquels sont associés les civils participant à une levée en masse. En conflit armé non international (CANI) conservent en tout temps leur protection les civils qui n’exercent pas de fonction de combat continue au sein d’un groupe armé organisé..
- Une définition assez tautologique de la notion d’hostilités : « Le concept d’hostilités est la somme de tous les actes hostiles commis par des personnes participant aux hostilités ».
- Une définition de la PDH comme « acte spécifique ». Le GI énonce l’équivalence des termes « attaques »[7] et « hostilités » : de ce fait, la PDH s’entend comme une participation à un acte spécifique de violence.
- Le rappel des critères communément acceptés de la PDH :
o Seuil de nuisance et donc à des dommages causés à une partie au conflit plus qu’à des personnes ou biens protégés,
o Relation de causalité (qui doit être directe : par interprétation a contrario si elle est indirecte elle doit être assimilée à «l’effort de guerre général »),
o Lien de belligérance (intention de nuire à une partie au bénéfice d’une autre partie sans prise en considération d’actes et forces extérieurs au conflit)
- En outre, le GI inclut certaines mesures préparatoires quand elles sont directement liées à un acte spécifique de PDH, et la portée temporelle de la perte de protection contre le ciblage est arrêtée en liaison avec la notion de fonction de combat continue. (FCC)
En dernier lieu le CICR rappelle opportunément le principe du doute, et de manière très critiquable souhaite que l’emploi de la force soit limité à ce qui est nécessaire pour neutraliser un civil participant directement aux hostilités, refusant ainsi une liberté essentielle à tout commandeur dans un cadre de conflit armé qui doit pouvoir choisir de tuer plutôt que de capturer.
2.2.2 Les difficultés posées par le GI sont nombreuses. Sans revenir sur les critiques[8] essuyées, il nous semble que le droit international applicable ne requiert pas de passer par la notion de groupe armé organisé (GAO) pour caractériser la PDH. Pour commencer, l’acte d’un individu isolé peut être un acte de PDH, même s’il a peu de chances d’être militairement significatif. D’autre part, la notion de GAO a été récusée avec le refus du projet d’article 25 au PA II, lui laissant pour seule fonction de permettre de distinguer certaines situations de troubles même étendus de situations où le droit des conflits devient applicable.
Et dans ce cas, alternativement, la question avant même celle de la participation directe est celle des hostilités et de leur périmètre ou contenu. Une notion souvent utilisée en droit des conflits est celle d’opérations militaires. Les opérations militaires ne sont pas limitées aux actions armées et c’est tout le spectre de ces actions qui entre selon nous dans la notion d’hostilités. Les insurgés en Afghanistan opèrent sur tout ce spectre et s’opposent à l’ISAF non seulement de manière armée mais aussi en matière d’opérations d’informations, en construisant une administration fantôme qui mime les efforts de reconstruction de l’Etat de droit auquel contribue largement la coalition, etc. Il n’est pas possible de réduire les opérations militaires aux actions armées pour la coalition et ce n’est pas non plus légitime pour les insurgés. Par exemple, une conséquence du GI est que légitimement les insurgés peuvent cibler un général qui dirige la communication de l’ISAF ou le gestionnaire des ressources financières de l’opération alors que corrélativement, il ne serait pas possible de cibler les stratèges insurgés qui mènent des campagnes dévastatrices de désinformation en direction de la population afghane ou les financiers sans lesquels les opérations ne peuvent simplement pas avoir lieu. Par ailleurs, il est surprenant de constater que le GI interdit de cibler les responsables d’actions menées au détriment des forces armées si elles ne sont pas clairement menées au bénéfice d’autres parties au conflit et de demander alors aux forces armées de s’en remettre à des forces de police pour leur protection. Ces actions, même opportunistes, ne sont pourtant presque jamais menées sans référence au contexte plus large du conflit en cours. Il est donc préférable d’offrir une définition :
« Les hostilités sont composées de toute action, armée ou non, qui a pour objet ou pour effet d’affecter négativement la capacité militaire ou les opérations militaires d’une partie à un conflit, ou alternativement de nuire aux personnes ou aux biens protégés lorsque cette action a un lien avec le conflit armé. » . Cette définition supprime la référence à un soutien à une autre partie et élargit le périmètre du lien de belligérance.
Le périmètre donné aux autres critères est un sujet d’interrogations avec un seuil de nuisance qui ne permet pas d’intégrer les cyberattaques, la propagande, les menaces au sens du PA I 51.2 ou du PA II 13.2. L’exigence difficilement compréhensible d’une étape causale unique entre l’acte spécifique et son origine laisse de côté le financement, l’entrainement, le recrutement la « recherche scientifique » (pensez aux IED sans métal).
2.2.3 Pour une position alternative
La jurisprudence internationale utilise malheureusement parfois la notion de GAO de manière opérative mais il reste envisageable de développer des positions nationales, compte tenu de la subsidiarité de sa compétence. En tout état de cause, il conviendra de choisir entre le développement d’une notion de PDH dépendante de celle de GAO (option du CICR) qui conduit à des frappes létales sur une base statutaire[9], parfois peu claire, et celui d’une notion de PDH indépendante du concept de GAO, lui même peu légitime même s’il a une utilité évidente, sociologiquement ou en matière de renseignement militaire. C’est en tout cas autour de ce point de divergence que s’organisent les discussions en cours[10] au ministère.
Que ce soit au plan doctrinal, ou au plan des méthodes et moyens employés, et que cela résulte de considérations d’ordre strictement juridique ou d’autres considérations, militaires, financières, ou liées à opinion publique, la guerre aérienne s’inscrit ainsi dans une tendance fortement vertueuse de réduction des dommages incidents et de respect du principe de distinction. Il importe que ces efforts soient consolidés et autant qu’il est possible, repris à leur compte dans d’autres dimensions de l’action militaire.
ANNEXE
Une proposition alternative à celle du GI consiste à
Q Rédefinir un seuil de nuisance associé à la notion d’hostilités qui comprenne :
• Les actes nuisibles armés.
• Les actes nuisibles non-cinétiques.
Q Préciser l’étendue du lien causal :
• Les actes hostiles, dont les actes constituant une partie intégrante de ceux-ci, font par nature partie des hostilités.
• Les mesures préparatoires aux actes hostiles équivalant aux hostilités.
Q Un lien de belligérance :
• L’acte doit être conçu pour causer ou faire causer un dommage au détriment d’une partie au conflit et dans le cadre du conflit mais pas nécessairement en soutien à une autre partie.
Ø Les criminels attaquant une partie au conflit sont réputés participer directement aux hostilités
Ø Les criminels attaquant les personnes et objets protégés ne participent pas directement aux hostilités sauf à agir pour le compte d’une partie au conflit ou à atteindre le seuil d’organisation faisant d’eux des parties au conflit.
Q Une fois la participation directe aux hostilités confirmée, la durée du ciblage doit dépendre :
Q du caractère régulier de cette participation :
• Participer directement mais une seule fois aux hostilités fait recouvrir la protection à la fin de la participation aux hostilités.
• Participer directement et plus d’une fois aux hostilités permet un ciblage permanent tant que dure l’engagement dans les hostilités.
Q du caractère volontaire ou contraint de ladite participation :
• Participer directement mais sous contrainte physique ou morale aux hostilités n’équivaut pas à une participation régulière aux hostilités et n’autorise donc pas un ciblage permanent.
Q de la nature de l’acte déterminant la participation directe aux hostilités :
• Participer directement et régulièrement aux hostilités via la commission de plus d’un acte hostile permet un ciblage permanent
• Participer directement et régulièrement aux hostilités via la commission d’une mesure préparatoire fait recouvrir la protection à la fin de la mesure préparatoire.
En outre, le recours à la force létale n’a pas à être subordonné au principe d’humanité hors les cas spécifiquement mentionnés dans le droit des conflits armés.
[1] En dépit des articles 51.2 PA I et 4.2 h), 13.2 du PA II des protocoles qui précisent que « Sont interdits les actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile. » même si les menaces ne sont pas qualifiés de crimes de guerre per se.
[2] 55 “ (..)The media as such is not a traditional target category. To the extent particular media components are part of the C3 (command, control and communications) network they are military objectives. If media components are not part of the C3 network then they may become military objectives depending upon their use. As a bottom line, civilians, civilian objects and civilian morale as such are not legitimate military objectives. The media does have an effect on civilian morale. If that effect is merely to foster support for the war effort, the media is not a legitimate military objective. If the media is used to incite crimes, as in Rwanda, it can become a legitimate military objective. If the media is the nerve system that keeps a war-monger in power and thus perpetuates the war effort, it may fall within the definition of a legitimate military objective.”
[3] « 502. La Chambre d’appel rappelle qu’il suffit que les publications de Kangura, les émissions dela RTLM et les activités de la CDR aient contribué substantiellement à la commission d’actes degénocide pour conclure que ces publications, émissions et activités ont incité à la commission de tels actes ; il n’est pas requis que celles-ci en aient constitué une condition nécessaire. »
[4] La VID selon les exigences du droit applicable aux moyens français ne peut pas être seulement la corroboration des coordonnées de la PID par vérification de la position géographique d’un objet. D’ailleurs on parle à juste titre de VID s’agissant de la reconnaissance à vue d’un aéronef en mouvement. La VID est bel et bien une mesure de dernière instance pour s’assurer de la nature d’un objet et de la légalité de sa prise à partie, l’ensemble de la chaine d’exécution (KILLCHAIN) des opérations étant coresponsable de son exécution selon les standards applicables (légalité, absence de disproportion, etc..).
[5] Et uniquement quand cela est possible. Ainsi s’il on a une PID sur un cible militaire, rien n’interdit d’utiliser une arme avec une distance de sécurité et donc de tirer sans VID si elle est techniquement irréalisable (météo, cause technique, etc..) ou trop dangereuse.
[6] POSITIVE IDENTIFICATION (PID). Positive identification (PID) of targets is required prior to engagement. PID means that the object designated for attack has prior to the attack been identified beyond doubt as a confirmed, legitimate target under the LOAC. ”beyond doubt” means there is no ground to believe otherwise. documented/factual grounds for doubt must lead to suspend or cancel the attack. The commander nominating the target for attack must positively assess that the force, structure, generally the object of the attack is a declared hostile force, has committed a hostile act, is demonstrating hostile intent, or is otherwise a valid military objective.
VISUAL IDENTIFICATION (VID) VID (visual identification) consists in the identification by visual means (type or position or vector) of an object. That object may be in motion (eg as in the case of an airplane) or not. This object may or may not be a legitimate target. If VID is demanded above and beyond PID it must be understood not only as the correlation of the geographic position, vector or type of an object but as an additional requirement with a view to confirming the legality of the attack and eg the nature of the object or lack of disproportion in collateral damage.
[7] « L’expression "attaques" s’entend des actes de violence contre l’adversaire, que ces actes soient offensifs ou défensifs » Art. 49 PAI 1977
[8] W. Hays Parks, Part IX of the ICRC “Direct Participation in Hostilities” Study: No Mandate, No Expertise, and Legally Incorrect, 42 N.Y.U. J. INT’L L. & POL. 769 (2010).
Kenneth Watkin, Opportunity Lost: Organized Armed Groups and the ICRC “Direct Participation in the Hostilities” Interpretive Guidance, 42 N.Y.U. J. INT’L L. & POL. 641 (2010).
Michael N. Schmitt, The Interpretive Guidance on the Notion of Direct Participation in Hostilities: A Critical Analysis, Harvard National Security Journal (2010).
Michael N. Schmitt, Deconstructing Direct Participation in Hostilities: The Constitutive Elements, 42 N.Y.U. J. INT’L L. & POL. 697 (2010).
Bill Boothby, “And for such time as”: The Time Dimension to Direct Participation in Hostilities, 42 N.Y.U. J. INT’L L. & POL. 741 (2010).
[9] Par ailleurs le ciblage sur une telle base « statutaire » est généralement condamné par les organisations humanitaires.
[10] Pour plus de développements, http\\: www.legaladvisersinarmedconflicts.com